Intelligence artificielle et données personnelles : vers un accès élargi au nom de l’intérêt général ?

IA et données personnelles

Le pilotage par les données de santé constitue un enjeu stratégique majeur dans le secteur de l’IA en France. Mais comment concilier protection individuelle et utilité collective ? Dans le cadre de la table ronde « Données, bien public ou bien privé », organisée au Salon Master Dev France le 12 mars 2025, Eric Chenut, président de la Mutualité Française, appelle à un accès plus large des données de santé, au service de l’intérêt général.

Les 10 et 11 février 2025, Paris accueillait son premier Sommet pour l’action sur l’IA avec une ambition claire : se positionner comme un acteur majeur dans le domaine de l'IA, en réunissant des experts, des décideurs et des entreprises pour discuter des implications, des objectifs et des besoins de régulation de l'IA. Le Sommet a mis en avant l'importance de développer une IA éthique, inclusive et ouverte, s'appuyant sur des données accessibles, de confiance et de qualité. Mais comment accéder à de telles données et quelle est la finalité de leur utilisation ?

La France, acteur majeur de l’IA

Dans la même dynamique, la table ronde « Données, bien public ou bien privé » organisée par Docapost au Salon Master Dev France le 12 mars 2025, a permis aux intervenants d’aborder la question de l’open data (données ouvertes). Plutôt proactive en la matière, la France reconnaît leur potentiel pour stimuler l'innovation, améliorer la transparence de l'action publique et favoriser la participation citoyenne. Anne Bouverot, envoyée spéciale du président de la République sur l’intelligence artificielle, a présenté la Fondation dédiée au développement de ces technologies. Cette structure aura pour mission de centraliser les données d’intérêt général et le développement de communs de données, notamment dans le domaine de la santé.

Le Système National des Données de Santé trop protecteur ?

En matière de santé, il existe une base de données française centralisée : le Système National des Données de Santé (SNDS). Il regroupe des informations de santé issues de diverses sources (hôpitaux, assurance maladie, complémentaires santé etc.) Unique en Europe, voire au monde, il constitue une avancée considérable pour analyser et améliorer la santé de la population. Les données du SNDS sont accessibles sous certaines conditions, notamment pour des projets de recherche ou d'évaluation présentant un intérêt public. Des mesures strictes de confidentialité et de sécurité sont mises en place pour protéger les informations personnelles.  Aujourd’hui, il n’y a aucun accès direct au SNDS pour les assureurs santé qui doivent passer par un intermédiaire. Eric Chenut, président de la Mutualité Française, regrette que l’accès soit verrouillé : « On pourrait aller plus loin si l’on pouvait accéder directement au SNDS, comme faire de la prévention personnalisée pour réduire les inégalités en santé ou offrir de nouveaux services aux populations. » La charge de la preuve reposant sur les assureurs, très peu de demandes ont été faites, et aucune n’a permis un accès direct aux données.

Encadrer et soutenir l’innovation pour gagner la confiance

Anne Debet, professeur des universités, vice-présidente de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), reconnaît qu’en matière de données de santé, le processus est très long : face aux impressionnants modèles IA américains et la montée en puissance des IA génératives, la Cnil veut à la fois soutenir et encadrer l’innovation « Les données personnelles ne sont pas un bien et sont difficiles à anonymiser. On doit trouver des moyens pour ne pas freiner l’innovation et protéger le RGPD (Règlement général de la protection des données) », explique-t-elle. « Il y a plus de risque à ne pas faire qu’à faire », insiste Eric Chenut. « Nous devrions être leader sur le traitement des données de santé mais la défiance qui existe encore ne permet pas de lâcher les chevaux ! »

« Les gens sont ouverts au partage de données »

Si l’on veut que les Français s’approprient l’IA, il faut leur montrer que leurs droits seront protégés. Les résultats l’édition 2024 du Baromètre sur les connaissances des données de santé des Français réalisée par le Health Data Hub, en partenariat avec France Assos Santé, la Cnil, PariSanté Campus et la délégation ministérielle du numérique en santé, témoignent d’une amélioration dans la sensibilisation des Français aux enjeux des données de santé. Aujourd'hui, 85 % ont entendu parler du Règlement général sur la protection des données (RGPD), et 83 % savent ou soupçonnent que les données de santé bénéficient d'une réglementation stricte. En ce qui concerne l'utilisation secondaire des données pour la recherche, 66 % des Français savent que leurs données anonymisées peuvent être utilisées pour la recherche, contre 58 % pour les données pseudonymisées. Bien que les connaissances progressent, il reste nécessaire de poursuivre les efforts de sensibilisation initiés par l’ensemble des partenaires.

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 « Le débat public est très important. Les gens sont ouverts au partage des données de santé pour la recherche et le bien public. » rappelle Anne Bouverot en conclusion de la table ronde. Eric Chenut confirme : « La place du citoyen est centrale, plus nous créerons les cadres de la démocratie citoyenne plus nous donnerons des perspectives de confiance ». Une conclusion qui résonne avec le thème de l’édition 2025 du Master Dev France : L’avenir de l’IA, c’est l’humain.

 

Mutuelles Data

Depuis 2009, les mutuelles agrègent leurs données de santé sur le Système national des données mutualistes (SNDM). Ce dispositif de collecte fournit aux mutuelles qui l’alimentent des informations et des outils dont elles ont besoin pour l’exécution de leurs missions, notamment pour le suivi et la gestion du risque complémentaire santé, pour les doter d’outil d’analyse et de prévision et partager une vision collective. Mutuelles Data permet ainsi aux mutuelles d’organiser collectivement la valorisation de leurs données, de façon sécurisée en s’appuyant sur un tiers de confiance. Le service est aujourd’hui alimenté par 7 mutuelles (6 millions de personnes protégées), 4 autres mutuelles sont en test pour intégrer le dispositif. Mutuelles Data a été conçu pour servir d’intermédiaire et alimenter le Système national des données de santé (SNDS).
Chloé Beaufils