« Quand on met une dose de collectif dans l’exercice de soins, ça améliore la qualité des pratiques individuelles, c'est prouvé », a déclaré le 26 septembre Jean Lessi, directeur général de la Haute Autorité de santé (HAS). Cette affirmation vaut aussi bien pour les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), que pour la mise en place de protocoles de collaboration ou d’équipes de soins primaires, a-t-il précisé à l’occasion des Journées de rentrée de la Mutualité Française.
Une matinée consacrée à la refondation du système de santé et de protection sociale a permis de réfléchir à une organisation plus efficiente, basée sur de nouvelles dynamiques au service de la population. « L’analyse des besoins de santé doit guider la répartition des tâches entre les différents acteurs d’un territoire. C’est un gage d’efficience », a lancé David Guillet, président de la Fédération nationale des CPTS. Pour cet infirmier, il faut optimiser l’ensemble des ressources d’un territoire pour obtenir « le meilleur effet levier sur la santé de la population ».
Optimisation du temps médical
La CPTS où il exerce, dans le sud de la Mayenne, fait figure de pionnière face « au mur de la désertification médicale » subi il y a une dizaine d’années. « Quand notre hôpital public de proximité a perdu ses médecins, ou médecins coordinateurs, il y a eu un enjeu de structuration : soit la disparition de l’hôpital, soit sa préemption par des fonds privés, soit une participation effective des médecins libéraux sous forme de permanences de soins, de libération de temps », a-t-il témoigné.
Aujourd’hui, les praticiens libéraux participent « à 100% à la vie de cet hôpital », se félicite David Guillet. Cette collaboration réussie englobe « une mutualisation des ressources en kinésithérapie et au niveau des services de soins infirmiers, avec des mi-temps et des tiers-temps entre la ville et l’hôpital ».
« Les coopérations avec d’autres professionnels représentent une source d’optimisation du temps médical », approuve Laure-Marie Issanchou, directrice du développement des assurances mutualistes de la Mutualité Française, citant l’exemple des assistants médicaux ou des pharmaciens. « Il ne s’agit pas de remettre en cause la place, le rôle ou les compétences des médecins qui demeurent indispensables, notamment pour le diagnostic », souligne Laure-Marie Issanchou. Mais, pour améliorer l’accès aux soins dans les territoires, il y urgence à « repenser le parcours de soins, tel qu’il a été posé en 2004, peut-être pour tendre vers une équipe de soins traitante répondant davantage aux besoins des patients », poursuit-elle.
En effet, le Carnet de santé de la France 2024, publié par la Mutualité Française, montre que près neuf Français sur dix vivent dans un désert médical. Par ailleurs, deux personnes sur cinq renoncent à des soins après des difficultés à obtenir un rendez-vous, tandis que 65% de généralistes doivent renoncer à accepter de nouveaux patients.
« Une explosion des besoins »
Avec le vieillissement de la population et la progression des maladies chroniques, notre société assiste à « une explosion de besoins qui appelle à une rénovation majeure de nos modes d’exercice », soutient Arnaud Bontemps, fondateur et co-porte-parole de Nos services publics. « La coopération est nécessaire et nécessite de rompre avec l’exercice médical isolé », ajoute-t-il.
« Un nouveau métier a encore un peu de mal à faire son chemin dans l'écosystème de la santé : l’infirmier de pratique avancée, renchérit Florence Herry, présidente et cofondatrice de Libheros, experte associée en santé à l’Institut Montaigne. Grâce à de nouvelles compétences, ce métier permet de faire gagner du temps soignant, du temps médical, dans les zones rurales et urbaines, pour pouvoir prendre en charge des patients atteints de pathologies chroniques. »
« Les changements culturels sont toujours longs mais, depuis deux ou trois ans, on assiste à une réelle émergence des CPTS. Notre système de socialisation du risque a besoin d’une appropriation plus importante par les acteurs », constate Bernard Jomier, sénateur de Paris, corapporteur de la mission sur la financiarisation du système de santé. « Nous avons aussi besoin de mettre les acteurs en situation de responsabilité. Est-ce que nous socialisons toujours les bons risques ? N’y a-t-il pas de nouveaux risques qui ont un impact direct sur la santé de la population et que nous ne socialisons pas ? », lance-t-il.
« L’inefficience du système de santé coûte 50 milliards d’euros, 20% des dépenses de l’assurance maladie, c’est donc considérable », avait rappelé le 25 septembre Eric Chenut, président de la Mutualité Française. « La HAS estime que si les prescriptions médicales et soignantes étaient faites à partir des préconisations, on pourrait économiser entre 15 et 20 milliards. On a des marges de manœuvre, la question est de savoir si on a le courage de poser ces objectifs », prévient Eric Chenut.
Dynamique d’attractivité
Au-delà du renforcement de l’accès aux soins, les participants s’accordent sur le fait que la coordination médicale crée une dynamique d’attractivité pour les professionnels de santé. « La qualité du soins, la qualité de travail des soignants et la qualité de l’expérience du patient se superposent en grande partie », estime Jean Lessi. A la problématique des revenus ou des moyens humains, les professionnels ajoutent la volonté de « bien prendre soin ». « C’est dans cet esprit que nous avons engagé au sein du réseau mutualiste, avec une équipe québécoise, des formations pour aider les professionnels à mieux accompagner les personnes, notamment en situation de handicap, vers le milieu ordinaire », illustre Guénaëlle Haumesser, directrice prévention et accompagnement mutualiste de la Mutualité Française.
L’innovation, l’utilisation des données et la prévention constituent d’autres leviers pour améliorer la qualité et l’efficience. « L’Australie a investi 80 millions d’euros pour embaucher des infirmières supplémentaires. Quelques années après, le bilan médico-économique fait état de 110 millions d'euros d’économies », relève Bernard Jomier. Un avis partagé par Laure-Marie Issanchou : « Si on veut faire de la prévention, on investit ! »
Risque de financiarisation
Pour sa part, Renaud Villard, directeur général de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) explique comment l’outil Icope monitor permet d’interagir avec les personnes âgées : « Cette application va régulièrement vous demander de vous lever 13 fois de votre chaise, d’écouter trois mots et de les restituer après, de faire des tests moteurs et cognitifs. » Lorsque l’application détecte un problème, elle envoie un signalement à un professionnel de santé afin qu’il échange avec la personne. Autre initiative mise en avant : la collaboration entre la Cnav et la Mutualité Française pour sensibiliser les seniors à l’activité physique et à une alimentation saine. « Nous avons touché 10 000 personnes dans le cadre de ce programme. Il a eu un tel succès que nous en développons un deuxième sur d’autres sujets, comme la santé environnementale », détaille Guénaëlle Haumesser.
Enfin, l’épineuse question du financement a fait l’objet de nombreuses réactions sur le risque de financiarisation de la santé. « S’il n’est pas scandaleux de gagner de l’argent en soignant, il est peut-être plus discutable de soigner pour gagner de l'argent », fustige Eric Chenut. « La progression de la financiarisation, partie de l’hospitalisation privée, s’est développée dans la biologie médicale, et entre maintenant de manière assez forte dans les secteurs ambulatoires, les centres dentaires, ophtalmologiques, l’imagerie et les soins primaires », déplore Bernard Jomier. Il craint que les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les CPTS soient la nouvelle la cible à court terme. Pourtant, Jean Lessi l’assure : « Gagner en efficience, c’est garantir la possibilité d’avoir une vraie solidarité dans le financement de la santé. »