Protection sociale : nouveaux besoins, nouvelles politiques

Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT (au centre), et Séverine Salgado, directrice générale de la Mutualité Française (à droite), ont débattu sur le thème

« Protection sociale : partir des besoins pour redéfinir le cadre des politiques sociales » : ce débat entre Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, et Séverine Salgado, directrice générale de la Mutualité Française, s’est tenu le 25 septembre, lors des Journées de rentrée. Elles ont listé des solutions pour répondre aux défis futurs et préserver la solidarité, comme les budgets pluriannuels, les plaidoyers communs, l’engagement territorial et la prévention.

Comment déterminer les nouveaux besoins de protection sociale des concitoyens ? Et comment y répondre dans un cadre budgétaire contraint ? Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) n’apparaît plus comme un vecteur adapté. « Aujourd’hui, les PLFSS sont complètement vidés de toute substance politique. Il n’y a pas vraiment de colonne vertébrale, de vision globale proposée, vers laquelle on aimerait emmener notre système de protection sociale », a déploré le 25 septembre Séverine Salgado, directrice générale de la Mutualité Française, à l’occasion des Journées de rentrée de la Mutualité Française.

Lors de l’apparition du premier PLFSS, en 1996, l’enjeu était d’instituer « un rendez-vous annuel, au Parlement, pour organiser un débat autour de la protection sociale et faire de la Sécurité sociale un vrai objet de démocratie sociale », a rappelé Séverine Salgado lors d’une table ronde intitulée « Protection sociale : partir des besoins pour redéfinir le cadre des politiques sociales ».

Désormais, il faudrait instaurer un « cadre pluriannuel » afin de mieux anticiper les défis futurs, à moyen et long terme, en particulier celui du vieillissement de la population. Devant l’urgence de cette pluriannualité, la Mutualité Française a cosigné une lettre ouverte avec 13 autres organisations (professionnels de santé, fédérations hospitalières, associations d’usagers, France assureurs, etc) pour obtenir au plus vite une loi de programmation de la santé.

Démocratie sociale

Reprenant l’image d’un tableur Excel focalisé sur l’aspect comptable des données chiffrées, la directrice générale de la Mutualité Française a regretté que le PLFSS ait perdu de son sens. Aujourd’hui, seuls des initiés peuvent comprendre la complexité de la législation de la Sécurité sociale, des règles de droit, des circuits de financement, des mécanismes de transferts, et même des prestations. « Du point de vue des citoyens, cela participe beaucoup d’un sentiment de dépossession des sujets de protection sociale », a-t-elle déploré.

Un avis partagé par Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT : « Le PLFSS devrait être la traduction d’une vision politique de la société qu’on veut construire. La question des politiques sociales est éminemment importante pour notre ciment démocratique et notre solidarité. » Pour la syndicaliste, il conviendrait de rappeler largement que toute cotisation est en réalité « un salaire différé » qui fait partie du pacte social. L’actuelle crise politique « éloigne encore plus les citoyens et les citoyennes de ce à quoi ça sert la Sécurité sociale, et en quoi elle leur est utile, voire indispensable au quotidien ».

« Personne n’a la capacité de faire seul »

Dans ces conditions, comment les différents acteurs peuvent-ils agir ? « Nous avons une conviction, et nous ne sommes pas les seuls, c’est que personne n’a la capacité de faire seul : ni l’Etat, ni les caisses de Sécurité sociale, ni les professionnels de santé, ni les mutuelles ou les syndicats », lance Séverine Salgado. C’est justement dans cet esprit que le Pacte du pouvoir de vivre regroupe des mutuelles, des syndications, des associations ou des fondations, afin de « dessiner un chemin, réaliste et ambitieux, pour une société écologique, sociale et démocratique ». Pour Marylise Léon, l’objectif est de faire entendre une voix commune pour « prendre soin de notre solidarité ».

« Cette notion de coopération, de coalition est très importante. Et elle peut être aussi à géométrie variable, explique Séverine Salgado. La Mutualité Française peut porter un plaidoyer très fort avec le pacte du Pouvoir de vivre, et à un autre moment, mener une coopération plus ponctuelle avec une municipalité pour installer une crèche ou un centre de santé dans un quartier prioritaire de la ville. »

« Je suis très attachée à la question du dialogue territorial », renchérit Marylise Léon. Par ailleurs, la secrétaire générale de la CFDT réclame également moins de cloisonnement dans la prise en charge des problématiques de santé. « On parle de santé environnementale, santé au travail et santé publique, mais il faut plus d’articulation car il existe des interactions : la pollution de l’air impacte la santé publique et les accidents de travail, tout comme la santé au travail impacte la santé publique. »

Des besoins liés à la perte d’autonomie

Autre conviction mutualiste : « Avant de formuler des propositions, nous devons comprendre les besoins, les contraintes, les éventuelles réserves des personnes concernées », poursuit la directrice générale de la Mutualité Française. C’est le cas avec les plaidoyers pour la transformation du système de santé, l’engagement mutualiste en faveur de la santé mentale, la santé au travail, ou encore le sport-santé dont l’Observatoire est assorti de propositions.

Le Carnet de santé de la France 2024, publié le 24 septembre, fournit également des données concrètes. « Une majorité de la population craint de ne pas pouvoir faire face financièrement au risque de perte d'autonomie », rapporte Séverine Salgado. « Si on arrive à se dégager quelques marges de manœuvre, on pourra peut-être couvrir des besoins qui sont peu ou pas du tout couverts, comme la dépendance. Mais cela ne peut pas se faire dans un cadre annuel, mais pluriannuel », poursuit-elle.

« Nous sommes aussi très investis dans la prise en compte de la perte d'autonomie, sujet sur lequel les pouvoirs publics font preuve d’un énorme immobilisme », fustige Marylise Léon. « Cela donne une lecture de ce que notre société est capable de faire, de la solidarité dont elle peut faire preuve vis-à-vis d’une partie de la population », prévient la syndicaliste face aux choix à opérer.

Développer la prévention

Toujours dans le Carnet de santé de la France 2024, les concitoyens plébiscitent les structures pluriprofessionnelles de santé et la prévention comme levier majeur pour améliorer la santé mentale et, de façon plus globale, renforcer les comptes sociaux. « Les dépenses augmentent mais ce n’est pas possible à l’infini. A un moment, il faut véritablement investir dans la prévention. C’est ce qu’on fait sur les lieux de travail », témoigne Marylise Léon. « Nous avons un très bel exemple de coopération entre la Sécurité sociale et les mutuelles en matière de prévention avec le lancement de Génération sans carie qui entrera en vigueur en janvier 2025 », anticipe Séverine Salgado.

Sur le plan fiscal, dans un souci de « juste partage des efforts », la secrétaire générale de la CFDT privilégie la contribution sociale généralisée (CSG) à la TVA qui est beaucoup plus injuste pour la population. Séverine Salgado reprend volontiers le slogan en disant : « Plutôt la CSG que la TSA », car la taxe sociale additionnelle due sur les cotisations des contrats d’assurance maladie complémentaire est « triplement injuste ». En effet, la TSA renchérit mécaniquement le montant annuel de la cotisation, représentant « deux mois de cotisations sur l’année, soit 14% ». Ce poids est encore plus insupportable pour les personnes dont les contrats ne bénéficient d’aucune aide fiscale, à l’instar des personnes sans emploi ou certains travailleurs non-salariés. Enfin, le taux d’effort devient insoutenable pour les seniors puisque le montant de la cotisation augmente avec l’âge.

Paula Ferreira