Aide-soignante de La Bulle, Yvonne Keller intervient une demi-journée par semaine au domicile d'Annick Tournadre, 77 ans, qui se remet d'un accident vasculaire cérébral (AVC).
Lorsqu'elle s'occupait de son mari atteint de la maladie d'Alzheimer, Annick Tournadre a bénéficié du soutien psychologique de La Bulle, la plateforme de répit de la résidence Michel-Grandpierre.
Ecouter les proches, les rassurer et les orienter, c'est la mission d'Aurore Lemeunier, psychologue et coordinatrice de La Bulle.
Lorsqu'elle intervient, Aurore Lemeunier tient compte des dynamiques de la dyade aidant-aidé, et de son entourage familial et amical.
Pour Sandrine Da Cunha Leal, directrice de la résidence Michel-Grandpierre, l'aide aux aidants relève de la prévention.
Roselyne Clémente trouve auprès de La Bulle le réconfort et le soutien nécessaires pour s'occuper de sa mère de 94 ans, qui a choisi de vivre à domicile.
Le salon de coiffure de l'Ehpad accueille les résidents mais aussi leurs familles ou le personnel.
L'Ehpad mutualiste Michel-Grandpierre, à Saint-Etienne-du-Rouvray, gère une plateforme de répit pour les aidants du secteur de Rouen et de son agglomération Sud. Cette structure accompagne les proches de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, de Parkinson ou de sclérose en plaques.
"Je connaissais la souffrance des aidants, mais je ne savais pas qu'ils pouvaient aller jusqu'à en mourir." Directrice de la résidence Michel-Grandpierre, un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) géré par la Mutuelle du Bien Vieillir (MBV), à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine- Maritime), Sandrine Da Cunha Léal a pris conscience à leur contact de la dureté du quotidien de ceux qui accompagnent, parfois au détriment de leur propre santé, un proche malade.
"Face à certaines situations, on comprend que les choses puissent en arriver à cette extrémité-là. Les gens s'épuisent, ils s'abiment, ce qui signifie qu'ils vont à leur tour vieillir avec des pathologies. En ce sens, faire de l'aide aux aidants, c'est de la prévention."
C'est dans cet esprit que la résidence Michel-Grandpierre a développé, peu après sa création en 2011, une plateforme d'accompagnement et de répit pour les aidants de personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer, de Parkinson ou de sclérose en plaques. Baptisée La Bulle, et créée via un appel à projets et un financement de l'agence régionale de santé (ARS), cette structure leur permet de reprendre leur souffle dans une vie chamboulée.
Deux assistantes de soins en gérontologie interviennent ainsi au domicile des malades, laissant à leur aidant le loisir de s'échapper et de prendre du temps pour lui. C'est la mission d'Yvonne Keller, qui, ce vendredi, passe la matinée chez Annick Tournadre, à Sotteville-lès-Rouen, banlieue sud de la capitale normande.
Soutien psychologique
Au troisième étage d'une résidence moderne, cette septuagénaire a vécu "les deux côtés de la barrière". Longtemps aidante pour son mari atteint d'une maladie d'Alzheimer, elle a bénéficié du répit de la Bulle quelques matinées par semaine. Elle a aussi reçu le soutien d'Aurore Lemeunier, psychologue et coordinatrice de la plateforme, auprès de qui elle a pu s'épancher, et vérifier qu'en tant qu'aidante, "elle faisait bien".
Une réassurance indispensable pour ces proches souvent démunis face aux manifestations de la maladie. "On me disait qu'il ne fallait pas trop que je sorte avec mon mari. Mais jusqu'au bout, je l'ai emmené au stade pour les matchs de foot, et même en croisière en Hollande. Sans cette aide, j'aurais craqué."
En juin 2018, peu après le décès de son époux, Annick est victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC) qu'elle attribue au stress de son parcours d'aidante. Aujourd'hui c'est auprès d'elle, et pour soulager sa fille, que La Bulle intervient. Installée avec Yvonne autour d'une table encombrée de crayons de couleurs, Annick exerce sa motricité fine en coloriant des mandalas fleuris. D'autres fois, elle préfère discuter et se confier. "Elle a besoin de parler. Alors, je l'écoute. Parfois, nous jouons avec des mots, des prénoms. J'aimerais qu'elle puisse travailler sa mémoire avec un ergothérapeute de l'hôpital. Je le lui ai proposé", rapporte l'aide-soignante, qui précise : "Mon rôle est d'orienter, puis de laisser cheminer." Petit à petit, malgré les déficiences qu'il faut apprivoiser, une autre vie s'installe. "Elle m'a réconciliée avec le Scrabble !, s'amuse Annick. Et j'ai repris mon activité bénévole Secours populaire."
Répit à domicile
Chaque famille suivie par La Bulle peut bénéficier de l'intervention d'une assistante de soins une demi-journée par semaine, pour un reste à charge de 12 euros. "Ce fonctionnement a permis d'accompagner 67 familles en 2018", explique Sandrine da Cunha Léal. L'Ehpad accueille par ailleurs tous les lundis après-midi, en groupe de 4 à 5 personnes, des malades du secteur, pour permettre à leur aidant de disposer d'un peu de temps personnel. "Ce travail en petit groupe peut être une transition douce vers notre accueil de jour, voire vers l'entrée en institution", souligne Aurore Lemeunier.
Avant toute prise en charge, cette psychologue organise un entretien à domicile avec l'aidant et l'aidé. "L'objectif est de repérer les dynamiques de la dyade, d'évaluer la place de l'aidant, d'estimer le temps qu'il s'octroie pour lui-même, précise cette professionnelle. Nous regardons également si l'un comme l'autre sont entourés aux niveaux amical et familial."
Cet entourage est primordial, assure Sandrine Da Cunha Léal, "car la fatigue crée un isolement énorme. Très vite, l'aidant ne peut plus avoir de vie sociale, souvent parce qu'il s'en empêche".
"Maintenant, c'est moi qui m'occupe d'elle"
C'est pourquoi, cette année, l'établissement mutualiste a développé à leur intention un projet bien-être. "C'est une nouvelle facette du répit, qui prend la forme de séances de massages, réflexologie plantaire ou sophrologie", détaille Sandrine Da Cunha Léal. Ces prestations, y compris le répit concomitant, sont intégralement financées par l'ARS.
"Prendre soin de moi pendant une heure, cela fait un bien fou !", témoigne Roselyne Clémente. A 69 ans, cette ancienne Atsem (agent territorial spécialisé des écoles maternelles) s'occupe de sa mère, 94 ans, atteinte d'un Alzheimer modéré, et qui a choisi de rester à son domicile.
C'est elle qui, désormais, orchestre la vie de sa maman : "Tous les jours, elle reçoit Paris-Normandie, car c'est important de rester informé. Je lui ai acheté une grosse pendule, qui donne la date et l'heure, et un téléphone adapté. Un emploi du temps avec les visites de l'aide-ménagère ou du médecin est affiché dans la cuisine, le coiffeur vient tous les mois, en alternance avec le podologue, et, l'été, je lui mets des géraniums pour qu'elle se sente bien. Elle s'est occupée de nous, maintenant c'est moi qui m'occupe d'elle."
Douleurs, angoisses, insomnies
Ce dévouement n'est pas sans incidence sur la vie de Roselyne, qui soutient également chez elle son mari malade. "C'est épuisant, confie-t-elle, je comprends que certaines personnes partent avant… Je dors mal, j'ai des douleurs, parfois je me lève angoissée le matin."
Dans ce quotidien éprouvant, La Bulle lui offre un peu de répit : une fois par mois, Roselyne rencontre la psychologue, et tous les quinze jours, une aide-soignante vient s'occuper de sa maman pour la soulager.
"Aujourd'hui, indique Sandrine Da Cunha Léal, nous rencontrons des aidants jeunes. Ce sont parfois les enfants, parfois les petits-enfants, parfois un conjoint, des hommes, des femmes, des gens qui travaillent, qui ferment la porte le matin en espérant que rien de grave n'arrive en leur absence. Ils vivent dans un stress constant : la nuit, le malade déambule, les réveille. Au travail, ils sont appelés pour des urgences…" Pour soutenir ces nouveaux aidants, estime cette professionnelle, "il y a encore beaucoup à inventer".
Soutien aux aidants : les propositions de la Mutualité
Le conseil d’administration de la Mutualité Française a adopté, le 20 décembre 2018, une vingtaine de propositions couvrant les enjeux de prévention, d’accompagnement et de financement du grand âge.
L'objectif est d'"alimenter la concertation publique en amont d’une loi pour améliorer la prise en charge de la perte d’autonomie, annoncée par le Président de la République d’ici fin 2019".
Dans ce cadre, la Mutualité estime que "les aidants doivent être reconnus et leur rôle soutenu" et propose à cet effet que la charge de l’aidant soit prise en compte en incluant systématiquement dans le socle des garanties complémentaires des salariés et des fonctionnaires un accompagnement des proches aidants.
Celui-ci pourrait se composer d'une assistance dans la recherche d’aides financières, de services d’aide à domicile, de groupes de parole ou de solutions de répit, l'accès gratuit à un soutien psychologique, ou encore une participation aux frais d'aménagement du domicile.
Autre piste : l'élaboration d’une charte de partenariat entre les aidants et les différents acteurs de la prise en charge de la perte d’autonomie, afin de favoriser la collaboration des professionnels avec les aidants. Il s'agirait enfin de "renforcer l’offre de répit pour l’aidant en développant l’accueil temporaire de la personne aidée en Ehpad ou la mise en place à domicile d’équipes mobiles".