Lyon, capitale de la Mutualité
Le Palais de la Mutualité de Lyon. ©Bibliothèque municipale de Lyon.Si Lyon est encore aujourd’hui un centre de vie mutualiste important, la capitale des Gaules s’est aussi imposée, à de nombreux titres, comme un élément majeur de l’histoire de la Mutualité, de la structuration du mouvement ou de son affirmation comme un acteur social innovant.
Située au carrefour d'axes de circulation majeurs, la ville de Lyon s'est illustrée, depuis des siècles, par un grand rayonnement économique et social. Elle s'est notamment imposée, depuis la Renaissance, comme la cité historique de la soierie. Mais Lyon apparaît aussi à de nombreux titres comme le berceau du mouvement mutualiste, tant par la précocité de son enracinement que par les dates clé de l'histoire de la Mutualité qui lui sont souvent associées.
Lyon, un noyau mutualiste ancien et solide
En 1855, Lyon compte déjà 132 sociétés de secours mutuels approuvées, soit plus de 11.700 adhérents, auxquelles s'ajoutent 37 sociétés autorisées regroupant 2.000 hommes. A une époque où la France totalise quelque 2.500 groupements mutualistes, ces chiffres sont sans équivoque quant à l'importance du tissu lyonnais : au début du Second Empire, un habitant de la ville sur 128 est mutualiste, contre une moyenne nationale de 1 sur 144. Et en 1905, plus de 10% de la population lyonnaise adhère à une société de secours mutuels. D'abord réunis dans différents cafés de la ville, les mutualistes lyonnais se voient bientôt attribuer un Palais de la Mutualité, dont la première pierre est posée en 1910 par le maire de la ville, Edouard Herriot, afin de "porter secours aux abeilles en les aidant à se construire une ruche"[1].
Le dynamisme de la Mutualité lyonnaise se révèle également durant les révoltes des canuts des années 1830. En 1831, les ouvriers de la soierie se soulèvent pour obtenir une revalorisation des tarifs de la profession. La place centrale occupée par les dirigeants mutualistes dans cette insurrection, et en premier lieu ceux du Devoir mutuel, fondé en 1828, est symptomatique de la double facette de la mutualité : sous couvert d'activités officielles de prise en charge des besoins sociaux, les sociétés de secours mutuels participent souvent activement à la lutte ouvrière clandestine. Lyon se révèle aussi avant-gardiste dans la politique sanitaire et sociale mutualiste : en 1857, y est créée la première pharmacie mutualiste, encore une fois à l'initiative des canuts. Cette œuvre, en partie financée par le patronat de la soierie, ne peut être considérée comme purement mutualiste, mais elle n'en représente pas moins le premier jalon d'une longue épopée médico-sociale et servira de modèle à la France entière. Cette réalisation est d'ailleurs rapidement complétée par une multitude d'établissements à Lyon – parmi lesquels deux autres officines, des dispensaires, une mutualité maternelle, une maison de repos puis une clinique chirurgicale de grande envergure en 1935.
Lyon ou la cristallisation de l'identité mutualiste
Au-delà de son importance numérique et de sa précocité, la Mutualité lyonnaise joue également un rôle essentiel dans la structuration du mouvement au plan national. Dès 1871, est fondé un Comité général des sociétés de secours mutuels du Rhône ; ancêtre de l'union départementale créée en 1902, il fait partie des premiers groupements à rayonnement départemental apparus en France, avant même leur légalisation par la Charte de la Mutualité de 1898. L'un des fondateurs du Comité général, Auguste-Pierre Bléton, est par ailleurs à l'origine du premier congrès national de la Mutualité organisé à Lyon, en coopération avec Hyppolite Maze, intellectuel et républicain, député puis sénateur de la Gauche républicaine. Ouvrier bijoutier puis artisan joaillier, Bléton incarne alors parfaitement la sociologie du mouvement mutualiste, majoritairement implanté dans un milieu artisanal urbain, instruit et qualifié.
Le Palais de la Mutualité de Lyon. Copyright : Bibliothèque municipale de Lyon. Cliquer ici pour retrouver l'image
Si les fruits des efforts des deux organisateurs sont modestes – seul un dixième des forces mutualistes sont effectivement représentées au congrès de 1883 –, la manifestation lyonnaise lance néanmoins le coup d'envoi d'une tradition triennale, depuis lors ininterrompue, et qui s’impose progressivement comme un temps fort de la vie mutualiste. En permettant aux militants de réfléchir à des problématiques communes dans des domaines aussi divers que la vie économique, l’organisation des sociétés ou leurs relations avec les pouvoirs publics, le congrès de Lyon constitue la première étape de la construction d'une identité propre au mouvement. Cette réunion marque par ailleurs "les débuts de la républicanisation de la mutualité qui peu à peu se débarrasse de son "passé impérial""[2]. A partir de cette date, la Mutualité marche de plus en plus dans les pas de la Troisième République, dont elle s’approprie les valeurs et les traditions : cette proximité, symbolisée par la multiplication de grandes fêtes tenues en présence des élites républicaines, aboutit au vote de la Charte de la Mutualité en 1898 qui la libère du carcan législatif impérial et lui ouvre de grands espaces de liberté, puis à la création de la Fédération nationale de la Mutualité Française (FNMF) en 1902.
D'autres questions essentielles seront ultérieurement débattues à Lyon : en 1923, y est adopté le principe de l'obligation dans le cadre du projet des Assurances sociales voté en 1928 et 1930. L'un des dirigeants de l'Union générale de la Mutualité du Rhône, Eugène André, joue d'ailleurs un rôle majeur dans la mise en œuvre du système. Quelques décennies plus tard, en 1985, Lyon est encore au cœur des réflexions sur les nouvelles voies de la solidarité. Enfin, en 2006, le congrès de Lyon inaugure Priorité santé mutualiste, un service offrant des solutions novatrices dans l’accompagnement des personnes en matière de prévention, de soins ou de dépendance.
A l'évidence, la cité lyonnaise tient une place centrale dans l'histoire de la mutualité. Qu'il s'agisse de son ancrage historique dans le tissu urbain, de l'impulsion donnée à l'action médico-sociale ou de la structuration nationale du mouvement au travers des congrès, Lyon s'affirme bien, dès le XIXe siècle, comme la "capitale de la Mutualité"[3].
Charlotte Siney-Lange
Références
[1] Cité par les archives municipales de Lyon.
[2][3] M. Dreyfus, "Liberté, égalité, mutualité. Mutualisme et syndicalisme (1852-1967)", Paris, Editions de l'Atelier/Editions ouvrières, 2001.
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