1980 : « Non au ticket modérateur d’ordre public ! »
Après le projet Grandval (1964) et la réforme Jeanneney (1967) qui avaient déjà fortement mobilisé les mutualistes, la Mutualité Française engage en 1980 un combat contre un projet gouvernemental particulièrement impopulaire : le ticket modérateur d'ordre public. Le Mouvement confirme, à cette occasion, sa capacité de mobilisation pour la défense de la Sécurité sociale et de ses libertés d'action.
La longue histoire du ticket modérateur…
Le ticket modérateur, issu du modèle allemand, est introduit en France en 1928 dans la Loi sur les assurances sociales. Il correspond à la part des frais de santé à la charge du malade, matérialisée par un "ticket" de visite acheté par l'assuré pour être remis au médecin, qui le transmettait à son tour à la caisse pour percevoir ses honoraires. Si le système est abandonné par la loi rectificative de 1930, le terme reste quant à lui d'usage pour définir les dépenses non remboursées par le régime obligatoire. Considéré comme provisoire en 1945 par les fondateurs de la Sécurité sociale qui estiment, à l'instar d'Alexandre Parodi, ministre du Travail, que le but final du système est d'étendre la protection "à la fois à toute la population et à la couverture de l'ensemble des facteurs d'insécurité sociale", le ticket modérateur est néanmoins perpétuellement prorogé, puis augmenté au fur et à mesure de l'accroissement du déficit de la Sécurité sociale. C'est le cas en 1964 lorsque Gilbert Grandval envisage, sans succès, d'interdire aux sociétés mutualistes de faire l'avance du ticket modérateur. Trois ans plus tard, la réforme Jeanneney parvient cette fois à en imposer l'augmentation ; elle va même plus loin en interdisant à toute complémentaire santé de couvrir la totalité des dépenses non remboursées par le régime obligatoire. Cette tentative de suppression de la gratuité des soins, destinée à responsabiliser les assurés, est cependant remise en cause par le protocole d'accord de Grenelle du 27 mai 1968 qui en suspend l'application.
Le ticket modérateur d'ordre public au cœur des luttes mutualistes
La Mutualité s'affirme comme le principal opposant à ces mesures, défendant le principe d'une protection sociale la plus complète possible par l'action conjointe de la Sécurité sociale et des complémentaires de santé. Ses espoirs sont grands lorsqu'en 1973, un rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) réfute pour la première fois la théorie, largement admise, selon laquelle la prise en charge du ticket modérateur serait à l'origine de comportements inflationnistes. En affirmant qu'"en matière d'assurance maladie, limiter ne vaut, car limiter, c'est déplacer", voire même "déplacer en hausse", l'Igas reconnaît que la consommation des mutualistes est certes sensiblement supérieure à la moyenne, mais qu'elle se concentre sur les soins de première nécessité, et non sur les plus coûteux, ce qui n'implique pas d'excédents de dépenses. Les attentes suscitées par le rapport sont toutefois rapidement déçues, car sans effets sur la politique d'augmentation des restes à charge.
En 1979, cette politique est portée à son paroxysme par le ministre de la Santé du gouvernement Barre, Jacques Barrot, qui instaure un plan de compression des dépenses de la Sécurité sociale novateur : au-delà des traditionnelles hausses des cotisations, couplées à un allégement des prestations, les dépenses d'assurance maladie sont bloquées par différentes mesures particulièrement impopulaires – plafonnement des budgets hospitaliers, gel des honoraires des médecins et dentistes, reversement d'une partie des marges des pharmacies, taxe sur la publicité des laboratoires pharmaceutiques. S'y ajoute la remise à l'ordre du jour du ticket modérateur d'ordre public (TMOP) abandonné depuis 1967. Cette décision provoque une levée de bouclier du camp mutualiste, bien décidé à lutter contre ce qu'il considère comme une entrave à ses libertés.
La campagne contre le TMOP est orchestrée par René Teulade, tout juste élu à la présidence de la FNMF. Le mouvement surprend par son ampleur et par les moyens déployés par les militants mutualistes, eux-mêmes "ébahis par une lame de fond qui dépasse leurs espérances". Outre les manifestations qui ont lieu dans toute la France, est organisée une pétition nationale sous la forme de cartes postales, signées individuellement et envoyées au président de la République : au début de l'année 1980, pas moins de 7 millions de cartes postales, affichant clairement un "Non au ticket modérateur d'ordre public", arrivent à l'Elysée ! La multiplication d'articles de presse, d'émissions de radio et de télévision témoigne également de la surprise des médias, "qui découvrent un mouvement indépendant là où ils ne voyaient qu'un satellite administratif du régime obligatoire".
Soutenue par l'ensemble des organisations syndicales, sociales, et par les principaux partis politiques, la mutualité parvient en quelques mois à faire reculer le gouvernement : à la demande de Valéry Giscard d'Estaing, l'application du décret est reportée. Et en juillet 1980, un compromis est trouvé lors d'une audience accordée à une délégation mutualiste par le Premier ministre : en contrepartie de la reconnaissance de la libre utilisation des cotisations mutualistes, est créé un fonds de prévention commun à la Sécurité sociale et à la FNMF, financé à deux-tiers par cette dernière. Il faudra néanmoins attendre l'alternance politique et l'arrivée à la gauche au pouvoir, en 1981, pour que le décret sur le TMOP soit définitivement abrogé.
Dernier épisode d'une longue série de luttes contre les tentatives répétées des pouvoirs publics de réduire ses marges de manœuvre, le combat contre le ticket modérateur d'ordre public révèle la dimension d'acteur social de premier plan de la Mutualité. Mais si la victoire est indéniable, la compression des dépenses par la réduction des remboursements ne sera pas pour autant abandonnée, comme en témoigne la franchise de 1 euro imposée en 2014 sur les consultations médicales.
Charlotte Siney-Lange
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