Le défi européen
Le XXIe siècle, qui s’ouvre avec la transposition des directives européennes assurantielles dans le droit français, inaugure une nouvelle page de l’histoire de la Mutualité, dont la physionomie se voit profondément reconfigurée. Pour comprendre cette évolution, encore loin d’être stabilisée, il paraît nécessaire de revenir près de trente ans en arrière, aux origines de la construction du marché européen des assurances.
Le XXIe siècle, qui s'ouvre avec la transposition des directives européennes assurantielles dans le droit français, inaugure une nouvelle page de l'histoire de la Mutualité, dont la physionomie se voit profondément reconfigurée. Pour comprendre cette évolution, encore loin d'être stabilisée, il paraît nécessaire de revenir près de trente ans en arrière, aux origines de la construction du marché européen des assurances.
Dans les années 1970, deux directives, l'une du 24 juillet 1973 sur l'assurance non-vie, et l'autre du 5 mars 1979 sur l'assurance-vie, ont entamé la construction du marché européen de l'assurance. Invitée à intégrer ces directives, la Mutualité répondit par une fin de non-recevoir, en vertu de sa spécificité par rapport au secteur lucratif, et avec l'ambition de négocier une directive mutualiste. Poursuivies durant toute la décennie 1980, les discussions sur un statut de mutuelle européenne aboutissent cependant à une impasse. Le débat rebondit en 1992 lors de l'adoption des troisième et quatrième directives assurantielles, destinées à parachever la mise en place du marché commun de l'assurance. Faute d'une directive propre, la mutualité doit alors se résigner à intégrer les directives assurantielles.
Le combat pour la reconnaissance d'un modèle mutualiste à la française
Au-delà des tensions qu'il suscite au sein du monde mutualiste, ce retournement s'avère particulièrement délicat, l'organisation du marché assurantiel, en discussion depuis deux décennies avec les compagnies d'assurance, s'avérant mal adaptée au fonctionnement de la Mutualité, le principe de spécialisation, requérant un cloisonnement des activités, pose problème aux mutuelles françaises, dont le fonctionnement repose au contraire, depuis leurs origines, sur la multiplicité des prestations offertes en contrepartie d'une cotisation unique. C'est en premier lieu l'activité sanitaire et sociale mutualiste, déployée depuis plus d'un siècle au travers d'établissements et de services ancrés dans les territoires, qui est ainsi mise en danger.
En 1992, des négociations sont engagées entre mutualistes, autorités françaises et européennes pour obtenir un assouplissement des directives au profit du mouvement mutualiste. A cet égard, force est de reconnaître le soutien unanime des gouvernements français, de gauche comme de droite, dont bénéficie la Mutualité française. Tous recherchent un compromis favorable, retardant au maximum la transposition – théoriquement réalisée au plus tard en 1993 –, au risque de se voir poursuivis par la Cour de justice européenne en 1998. En 1999, le rapport de Michel Rocard confirme les propositions du conseiller d'Etat Alain Bacquet, missionné en 1993 d'une étude sur le sujet par Simone Veil. Tous deux concluent à la possibilité de scinder les mutuelles en plusieurs entités "sœurs », afin de respecter la règle de la mono-activité tout en préservant les valeurs mutualistes de solidarité et de désintéressement.
Nouveau Code, nouvelle physionomie mutualiste
Grâce à la ténacité du mouvement mutualiste, l'ordonnance portant réforme du Code de la Mutualité, adoptée le 19 avril 2001, apparaît comme le fruit d'un compromis. Conformément aux travaux menés durant les années 1990, le nouveau code est divisé en plusieurs livres, correspondant aux différentes formes d'action mutualiste : au Livre 1, définissant les règles de fonctionnement des mutuelles, unions et fédérations, s'ajoutent le Livre 2 relatif aux opérations d'assurance et le Livre 3 sur les réalisations sanitaires et sociales. Les deux derniers livres ont quant à eux trait aux relations avec l'Etat et les collectivités, et au contrôle des mutuelles. Le nouveau code impose également le renforcement du rôle des instances dirigeantes et la création d'un statut de l'élu mutualiste, l'accroissement des exigences prudentielles et financières, ainsi qu'un contrôle plus étroit sur les activités mutualistes. Au total, la mutualité n'est certes pas parvenue à négocier sa propre directive et a dû accepter des contraintes particulièrement complexes. Mais elle est parvenue à préserver l'existence de ses réalisations médico-sociales ainsi que les principes fondamentaux de la non-sélection des risques et de la cotisation unique.
La réforme du code bouleverse profondément le paysage mutualiste, en premier lieu par une nette accélération du processus de concentration, à l'œuvre depuis de nombreuses années : d'un peu moins de 15.000 en 1950, le nombre de mutuelles chute à 4.000 en 1985, 1.300 en 2005, puis 700 en 2010 pour passer sous la barre de 500 en 2017. Les petits groupements, aux moyens insuffisants pour faire face aux exigences édictées par l'Union européenne, sont intégrés dans des entités mutualistes aux effectifs croissants ou absorbés par des groupes de protection sociale. La réforme européenne, couplée aux évolutions de la législation française sur la complémentaire santé, entraîne aussi une adaptation des pratiques mutualistes, qui se caractérise notamment par la diversification et l'alignement des gammes de garanties individuelles sur les produits assurantiels.
Face à cette conjoncture concurrentielle, les atouts du mouvement mutualiste français demeurent majeurs, à l'instar de sa place dans le système de protection sociale : à l'heure actuelle, les mutuelles protègent 35 millions de Français. La force de la mutualité s'incarne également au travers de ses 2.600 réalisations sanitaires et sociales qui renforcent les prestations assurantielles par une offre de services innovante. Il semble cependant plus que jamais indispensable au mouvement de réaffirmer la spécificité de son modèle solidaire et non lucratif, encore trop méconnu du grand public, comme en témoigne la campagne de communication lancée par la FNMF en juin 2018, "Votre mutuelle est-elle vraiment une mutuelle ?".
Charlotte Siney-Lange
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