Raymond Belly, père des caisses chirurgicales mutualistes

En 1931, c’est en dehors du giron mutualiste qu’est fondée la première caisse chirurgicale dans le Lot-et-Garonne, à l’initiative conjointe de Raymond Belly (1898-1994) et du docteur François Delmas. Ces derniers s’imposent alors comme les pionniers d’un modèle bientôt repris à son compte par le mouvement mutualiste ; les caisses chirurgicales y tiendront dès lors une place centrale, reprise aujourd’hui à leur compte par leurs héritières, les mutuelles interprofessionnelles.

Des précurseurs… non mutualistes

Fils d’un importateur de café, Raymond Belly est né à Bordeaux en 1898. Il succède à son père dans son entreprise de 1930 à sa retraite en 1977, tout en présidant l’Union des mutuelles de Guyenne et de Gascogne et en s’impliquant dans la gestion d’une clinique chirurgicale privée à Agen (Lot-et-Garonne). Fervent catholique, Raymond Belly s’engage très jeune dans l’action sociale et prend rapidement conscience des lacunes des Assurances sociales face au risque chirurgical, encore particulièrement mal couvert du fait des insuffisances des hôpitaux publics. C’est pour y répondre qu’en 1931, il met en place une caisse chirurgicale dans le Lot-et-Garonne, avec l’aide de François Delmas, chirurgien et fils du directeur de la compagnie d’assurances La Préservatrice. Cette création originale, sans doute inspirée de l’assurance contre les accidents du travail instaurée en 1898, procure une couverture partielle pour les assurés sociaux, ou totale pour ceux qui n’en bénéficient pas. Son avantage est de prendre en charge ce risque coûteux, sans pour autant être contraint de financer la construction d’une clinique1.

Le modèle initié par Raymond Belly ne tarde pas à être imité, généralement par des patrons soutenus par la CFTC, comme dans les Deux-Sèvres en 1936, en Seine-et-Marne en 1937 puis en Savoie en 1938. En 1934, le rassemblement de sept caisses chirurgicales au sein d’une Fédération nationale présidée par Raymond Belly, contribue à l’essor de ces organismes : de sept en 1935, leur nombre passe à 35 en 1938. En dépit d’une dénomination trompeuse de « mutuelle », la jeune fédération, qui bénéficie du soutien de la fédération la Famille, dont le dirigeant, Gaston Tessier, n’est autre que le secrétaire de la CFTC, demeure étrangère à la mutualité et repose davantage sur des principes assurantiels.

La reprise en main par la mutualité

La FNMF fait d’abord preuve de méfiance vis-à-vis de ces organismes considérés comme commerciaux, fondés dans le giron patronal et de surcroît liés aux milieux assurantiels. Certaines de ces caisses semblent d’ailleurs avoir été créées « dans le but avoué de torpiller le projet de clinique chirurgicale mutualiste »2, autrement dit concurrencer et de nuire aux projets d’établissements portés par les groupements mutualistes. Ces derniers fustigent également leurs cotisations élevées, pour des remboursements forfaitaires n’intégrant qu’une partie des soins et des frais de séjour. Pour finir, la gestion très lourde de ces organismes finit de convaincre les mutualises d’y renoncer. Pour l’heure, la mutualité fait donc le choix des cliniques pour résoudre le problème du risque chirurgical.

Pourtant, à partir de 1937, apparaissent les premières caisses chirurgicales d’inspiration mutualiste sous l’impulsion de Romain Lavielle ; ce dernier comprend alors l’intérêt de ces réalisations qui permettent en particulier de pallier les insuffisances des cliniques mutualistes, encore peu nombreuses – seules six voient le jour jusqu’en 1935 –, et dont la réalisation requiert des moyens financiers trop importants pour une grande partie des unions départementales. C’est le cas en Dordogne en 1935, dans l’Isère et dans les Hautes-Alpes en 1937, en Indre-et-Loire en 1938 puis en Loire-Inférieure en 1939. Les caisses chirurgicales mutualistes proposent des tarifs inférieurs à leurs rivales mutuelles, mais au prix de prestations souvent plus modestes, excluant les frais de séjour. En 1938, le succès rencontré par les caisses chirurgicales mutualistes incite la FNMF à les regrouper au sein d’une Union nationale des caisses chirurgicales mutualistes (UNCCM), présidée par Romain Lavielle.

Une dynamique jamais démentie

Face aux moyens conséquents exigés par la gestion des caisses chirurgicales, se profile un projet d’unification des deux fédérations concurrentes. C’est chose faite en pleine guerre, fin 1942 : à l’initiative de Raymond Belly et de Romain Lavielle, est mise en place une Fédération nationale des caisses chirurgicales mutualistes (FNCCM). La présidence en est confiée à Marcel Legrand, président de la caisse chirurgicale mutualiste de la Seine-Inférieure, qui l’assure jusqu’à sa mort en 1956. Raymond Belly entre quant à lui au conseil d’administration de la FNMF, avant d’intégrer son comité exécutif en 1960, pour en finir vice-président de 1963 à 1968. Ce « mariage de raison »3 s’opère sans grande difficulté et la FNCCM fait d’emblée preuve d’une dynamique incontestable, à l’image de l’ensemble des caisses chirurgicales dont l’essor n’est en rien entamé par l’Occupation : d’une soixantaine d’établissements et un million d’adhérents en 1942, les effectifs de la FNCCM atteignent quelque 2 millions de membres l’année suivante, pour 70 cliniques4.

****

Successivement transformée en Union nationale des caisses chirurgicales mutualistes (UNCCM) en 1957, en Mutualité interprofessionnelle en 1989 puis en Fédération nationale de la Mutualité interprofessionnelle (FNMI) en 1993 – disparue en 2014 sous le coup de la concentration accélérée du mouvement mutualiste –, l’union des caisses chirurgicales s’imposera durant la seconde partie du XXe siècle comme un pilier du mouvement des mutuelles interprofessionnelles, qui demeurent aujourd’hui leurs dignes héritières.

 

1 O. FAURE, Les cliniques privées Deux siècles de succès, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
2 Ibid.
3 B. GIBAUD, Fédérer autrement. Histoire de la Fédération nationale de la Mutualité française, Paris, Mutualité française, 2003.
4 M. DREYFUS, La mutualité pendant la Seconde Guerre mondiale, Nancy, Editions Arbre bleu, 2020.