La Mutualité dans la « bataille contre la drogue »
La fin du XXe siècle marque un glissement progressif des préoccupations mutualistes, initialement centrées sur des problématiques purement médicales et médico-sociales vers des sujets sociaux : la toxicomanie fait ainsi l’objet d’une attention croissante du mouvement, qui s’engage dans un combat sujet à polémique autour de l’utilisation de la méthadone.
La toxicomanie, fille de la crise ?
Dans les années 1980, les effets de la crise économique font prendre conscience à la mutualité de ses multiples dégâts sociaux : chômage mais aussi isolement, délinquance, troubles psychologiques et toxicomanie. La consommation de drogues dures devient alors une problématique de santé publique majeure, en raison de l’apparition du Sida et de ses ravages dans la population toxicomane. Si la mutualité se limite d’abord à une action d’information et d’orientation, elle comprend rapidement l’urgence d’une politique globale contre la drogue. Il s’agit de sortir des mesures répressives traditionnellement en usage contre le toxicomane, qui se voit « étiqueté comme criminel », et de mettre un terme à la « contradiction entre la logique répressive et l’impératif de soins »[1]. De fait, depuis la loi du 31 décembre 1970, les toxicomanes sont placés sous le double statut de malades et de délinquants. Au contraire, le mouvement mutualiste se mobilise pour une prise en charge médicalisée de ceux qu’il considère comme des malades.
Une action de plus en plus engagée
C’est dans ce sens qu’à la fin des années 1980, la FNMF prend part à des actions de prévention contre la toxicomanie : en 1986, elle s’associe au plan anti-drogue lancé par le garde des Sceaux Albin Chalandon en 1986 qui, bien que restant dans une optique essentiellement répressive, introduit de premiers éléments de prévention. Quatre ans plus tard, elle s’investit également dans le programme « Combat pour la vie » de la Direction générale de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Dans plusieurs départements, des militants participent ainsi aux actions mises en œuvre dans le cadre de ce projet national.
La lutte contre la toxicomanie prend un tour nouveau en 1995, lorsque les traitements substitutifs par méthadone sont autorisés par le ministre de la Santé. La France est alors l’un des derniers pays à s’engager dans ce genre de traitement, contrairement aux Etats-Unis et à certains voisins européens, où les centaines de centres méthadone ont révélé leur efficacité dans la lutte contre le Sida, contre la délinquance et dans la réintégration sociale des toxicomanes. Convaincu de l’enjeu que représente la méthadone face au drame de la drogue, Jean-Pierre Davant, tout jeune président de la FNMF, n’attend pas sa légalisation officielle pour initier des actions dans ce domaine.
Le combat mutualiste pour la méthadone
En 1994, plusieurs visites d’établissements, notamment en Suisse et aux Etats-Unis, finissent de le convaincre. A New York, il se rend au centre de substitution créé par le docteur Newman au sein de l’hôpital Beth-Israël, considérée comme la plus ancienne et la plus importante expérience de substitution. De retour en France, Jean-Pierre Davant décide de mener une double action : d’une part en mettant « sa notoriété au service des intervenants en toxicomanie »[2], et d’autre part en montant plusieurs projets de centres méthadone, présentés dès juin 1994 au ministère de la Santé. Face à la toxicomanie, la mutualité apparaît comme « une force fantastique »[3], à la fois par son réseau militant, ses structures médico-sociales et par son pouvoir de pression sur l’opinion et sur les pouvoirs publics. Lors de son congrès de Bayonne, en septembre 1994, le ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy, le reconnaît lui-même : « la Mutualité m’a convaincu »[4].
La lutte s’avère pourtant semée d’embûches en raison de la polémique dont fait l’objet la méthadone dans l’opinion publique et dans le corps médical. Plusieurs réalisations doivent être abandonnées, notamment à Bayonne, où la structure, prévue en partenariat avec Médecins du Monde, fait les frais de l’opposition d’une association de riverains. Mais il en faut plus au « patron » de la mutualité pour renoncer : en juin 1995, la Mutualité Fonction publique inaugure à Paris le premier centre mutualiste médicalisé de distribution de méthadone. Baptisé Centre Emergence Tolbiac, il est rattaché à l’Institut Mutualiste Montsouris, et placé sous la responsabilité du professeur Philippe Jeammet, grand spécialiste de la jeunesse en difficulté. Le centre mutualiste se singularise par sa taille – il est alors le seul établissement à compter cent places en France –, une prise en charge originale et un accompagnement des patients en aval des traitements : une fondation de soutien est d’ailleurs créée afin de recueillir des dons privés pour favoriser l’insertion sociale, professionnelle, l’aide à l’hébergement et au logement.
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Le Centre Emergence Tolbiac sera suivi par d’autres réalisations, qui permettront à la mutualité d’acquérir une « réelle légitimité »[5] et de se poser en pionnier dans la lutte contre la toxicomanie. Elle aura contribué à la diffusion des traitements de substitution, à l’origine d’une « chute spectaculaire »[6] de la contamination par le Sida parmi les toxicomanes. Fort de cette expérience, le mouvement élargira bientôt sa réflexion à toutes formes de dépendance, licite ou illicite – drogue, tabac et alcool –, et s’intéressera à la notion de « polytoxicomanie », encore méconnue.
[1] Alexandre Marchant, « L’évolution des politiques publiques face à l’échec de la lutte contre la drogue : l’impossible prohibition ? », Après-demain n° 44, 2017/4.
[2] « Toxicomanie et sida : la méthadone enfin reconnue », Le Monde, 25 mai 2007.
[3] Jean-Pierre Davant, « Pour lutter contre la drogue (…) », op. cit.
[4] « Toxicomanie et sida (…) », op. cit.
[5] Jean-Michel Molins, « Toxicomanie : la Mutualité française veut lutter contre toutes les dépendances », Dépêche AFIM n° 685, 4 février 1997.
[6] « Toxicomanie et sida (…) », op. cit.
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