La Mutualité engagée dans le Droit des Femmes
Ancrée dans les problématiques de son temps, la mutualité s’engage aussi dans des luttes contre des tabous sociaux. L’exemple des combats féministes revendiquant le droit à disposer de son corps est à cet égard révélateur.
Si des courants, très marginaux, protestent depuis le XIXe siècle contre la situation d’infériorité imposée aux femmes, il faut attendre bien après la Libération pour qu’un mouvement prenne forme autour des droits des femmes à disposer de leur corps. A l’époque, les Françaises demeurent soumises aux lois natalistes de 1920 et 1923 réprimant la propagande anticonceptionnelle et l’avortement. Des voix, encore minoritaires, commencent donc à défendre le « birth control », à l’image du docteur Jenny Leclercq, qui est la première à aborder le sujet en 1946 ; trois ans plus tard, la parution du Deuxième sexe, dans lequel Simone de Beauvoir fait du contrôle des naissances une des conditions de l’émancipation féminine, provoque un véritable scandale. Au milieu des années 1950, un mouvement se dessine alors en faveur de la libéralisation de la contraception autour du Mouvement français pour le Planning familial (MFPF), fondé en 1956 sous le nom de « Maternité heureuse ».
De l’accouchement sans douleur à la contraception …
Dans ce contexte, des groupements mutualistes se mobilisent pour soutenir le MFPF : souvenons-nous de l’initiative pionnière de la Mutuelle familiale des travailleurs de la région parisienne qui se lance au début des années 1950 dans l’expérience audacieuse de l’accouchement sans douleur au sein de sa maternité des Bleuets[1]. En donnant les moyens aux femmes de maîtriser les douleurs de l’accouchement, cette « révolution culturelle »[2] représente sans doute « l’acte un » des revendications féministes. Le modèle des Bluets ne tarde pas à se diffuser en France, notamment au sein de structures mutualistes qui reprennent à leur compte la méthode. C’est le cas du centre de santé parisien de la Mutuelle générale de l’Education nationale (MGEN), où une femme, médecin généraliste, met en place des séances de préparation à l’accouchement sur le modèle des Bluets. Le succès remporté par ces consultations auprès du public enseignant incite l’équipe de l’établissement à aller plus loin : avec le soutien de la MGEN et de la direction du centre, trois femmes médecins décident d’organiser des consultations « d’orthogénie », terme obscur utilisé sciemment pour désigner le planning familial.
En se mettant délibérément hors la loi, les militants de la MGEN encourent des peines de prison et de lourdes amendes. Quant aux médecins du centre, ils risquent d’être radiés par le conseil de l’Ordre. Indépendamment de ces menaces, l’expérience, considérée comme « une étape vers l’émancipation de la femme et la libération des couples de l’obscurantisme imposé sur ces questions par les cléricaux de toutes origines »[3], est entamée en 1961 en collaboration avec le MFPF, qui se charge de fournir les contraceptifs rapatriés illégalement d’Angleterre. Comme aux Bluets, l’initiative suscite un afflux de professionnels de santé qui souhaitent être formés aux méthodes de contraception. Loin d’être isolée, la MGEN se joint à un faisceau d’acteurs divers partisans de légalisation de la contraception. On y retrouve la Mutuelle nationale des étudiants de France (MNEF), qui gère plusieurs centres de planning familial, et la Fédération mutualiste de la Seine, qui soutient matériellement le MFPF.
… Jusqu’à la légalisation de l’avortement
Après la victoire de la loi Neuwirth en 1967 autorisant la contraception, surgit une nouvelle revendication concernant la dépénalisation de l’avortement. Elle est portée par des associations féministes plus radicales tels le Mouvement de libération des femmes (MLF) et le Mouvement de libération de l’avortement et de la contraception (MLAC). Dans l’effervescence post-soixante-huitarde, conformément aux aspirations du monde étudiant à une plus grande liberté sexuelle, la MNEF s’associe au combat du MLAC et du MLF. Ses centres d’orthogénie organisent des voyages pour des étudiantes victimes de grossesses non désirées vers les pays où l’avortement est légalisé. Plus encore, des avortements y sont réalisés sur place, afin de « créer un état de fait prouvant qu’un avortement pratiqué dans de bonnes conditions n’entraîne pas de conséquences préjudiciables à la santé de la femme »[4].
La loi Veil, adoptée en janvier 1975 au terme de débats passionnés, apparaît comme le couronnement de plusieurs décennies d’une lutte féministe pourtant inachevée : au-delà des barrages opposés à son application, se pose le problème du remboursement d’un acte médical pour l’heure écarté des prestations de la Sécurité sociale. Certaines mutuelles se lancent alors de nouveau dans l’arène, à l’instar de la MGEN, qui obtient le droit de rembourser l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) et qui prend publiquement position pour une application entière de la législation.
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La mutualité a donc apporté une pierre importante à l’édifice des droits des femmes construit depuis l’après-guerre. Mais cet acquis demeure fragile : en 2011, une pétition en ligne est lancée conjointement par la Mutuelle des étudiants de France (LMDE) et la MGEN contre « le double recul préoccupant » constaté dans l’accès à la contraception et à l’avortement. A l’heure actuelle, la Procréation médicalement assistée (PMA) représente une nouvelle étape de ce mouvement séculaire vers la libération des femmes, auquel la mutualité ne reste pas étrangère : en témoigne la prise de position du président de la Mutualité française, Thierry Beaudet, en faveur d’une généralisation de la PMA remboursée à toutes les femmes, considérée comme « une question d’égalité »[5].
[1] Sur ce sujet, voir la chronique « La naissance des mutuelles ouvrières ».
[2] Marianne Caron-Lelliez, « L’accouchement sans douleur : une révolution culturelle au milieu du XXe siècle », Spirale, n° 47, 2008/3.
[3] Jean Cornec, correspondance à Denis Forestier, 12 décembre 1961, archives de la MGEN, 13111.
[4] MFPF, D’une révolte à la lutte. 25 ans d’histoire du Planning familial, Paris, Tierce,1982.
[5] Tribune de Thierry Beaudet, « Pour une PMA accessible à toutes et remboursée par les mutuelles », Libération, 8 juillet 2019.
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