La Mutualité et la précarité

La prise en charge de l’exclusion a toujours fait partie des missions de la mutualité, en vertu de ses valeurs de solidarité et d’humanisme ; mais cette problématique fait néanmoins l’objet d’une attention croissante à partir des années 1980. L’aggravation de la crise économique fait alors surgir de nouvelles catégories de précaires qui appellent une mobilisation du mouvement.

De la pauvreté à la précarité

Avec la fin des Trente Glorieuses, la montée d’un chômage de longue durée, les difficultés d’accès au marché du travail et la précarisation de l’emploi sont la source d’une recrudescence de pauvreté, qui font émerger les notions de « précaires » et de « nouveaux pauvres ». En 1987, le rapport Grande pauvreté et précarité économique et sociale présenté au Conseil économique et social par le père Wresinski marque à cet égard un tournant. Il est le premier à proposer une définition de la précarité, comme « l’absence d’une ou plusieurs des sécurités permettant aux personnes et aux familles d’assumer leurs responsabilités élémentaires et de jouir de leurs droits fondamentaux », conduisant souvent « à la grande pauvreté ». Le rapport Wresinski devient une référence internationale en matière de lutte contre la misère et l’exclusion. En France, il inspirera la création en 1988 du Revenu minimum d’insertion (RMI, aujourd’hui RSA), de la Couverture maladie universelle (1999) puis du Droit au logement opposable (2007).

Quelle action mutualiste face à la précarité ?

Jusqu’aux années 1980, les initiatives mutualistes à l’égard des « exclus » se concentrent sur les groupes traditionnellement admis dans cette catégorie : en premier lieu les personnes âgées, identifiées depuis l’après-guerre comme les grands laissés pour compte des Trente Glorieuses, bénéficient de cotisations modulées et de services spécifiques. Depuis les années 1960 également, les personnes en situation de handicap font l’objet d’un programme d’intervention sans cesse plus élaboré, qui passe par des mesures de prévention jusqu’à l’accueil au sein d’une vaste gamme de structures spécialisées. Ce sont donc des populations fragilisées par l’âge ou par leur état de santé qui sont d’abord ciblées.

Mais l’attention se porte bientôt sur les victimes de la crise. Sans attendre les mesures gouvernementales adoptées autour des années 1990, les groupements mutualistes prennent l’initiative d’actions de soutien aux chômeurs : en 1984, tandis qu’une vente de timbres est lancée par l’union départementale de la Loire, la Caisse chirurgicale du Var met en place un fonds de solidarité alimenté par des dons volontaires. Il en va de même pour la Mutuelle chirurgicale de Haute-Vienne, à l’origine d’une souscription pour couvrir une partie des cotisations des personnes en fin de droit. Dans la Mutuelle interentreprises du personnel des sites du Saut-du-Tarn, 2 % des salaires des actifs sont prélevés au profit des chômeurs. A Colmar, la Mutuelle complémentaire d’Alsace met sur pied un service « Entraide chômeurs ». Plus largement, un grand nombre de mutuelles s’organise spontanément pour accorder une minoration de la cotisation des adhérents sans emploi.

La FNMF se penche quant à elle sur la question en 1985 lors de son congrès de Lyon. Au cours du forum « Solidarité et exclus », la réflexion s’oriente sur les chômeurs en fin de droits. A cette occasion, est proposée la mise en place d’un fonds national de chômage, sur le modèle du fonds national de prévention créé trois ans plus tôt. Mais au-delà de cette solidarité financière, les congressistes s’accordent sur la nécessité de créer des emplois, considérés comme la seule réponse durable face à la crise ; ils s’engagent alors à créer quelque 5000 emplois de Travaux d’utilité collective (TUC)[1]. Ce congrès représente ainsi une étape importante dans la réflexion sur l’exclusion, dont le cercle s’élargit à de nouvelles problématiques – pauvreté mais aussi drogue, délinquance, immigration – pour lesquels il est décidé d’« accompagner les démarches de réinsertion et de responsabilisation et [d’]éviter l’assistance »[2].

Pour concrétiser ces orientations, est lancée en 1986 une collecte nationale baptisée « Un coup de main aux fins de droit ». Son objectif est d’alimenter un fonds national de protection et de solidarité mutualistes à hauteur de de 100 millions de francs pour financer 75 % de la cotisation des adhérents en fin de droit. La mutualité fait le choix d’une contribution volontaire, afin de valoriser son éthique fondée sur la solidarité active. Une lettre adressée individuellement aux adhérents les informe de « cette opération exemplaire », destinée à « démontrer que la solidarité et l’esprit d’entraide n’appartiennent pas qu’à l’histoire de notre mouvement mais qu’ils sont aussi sa force et son avenir »[3].

Au printemps 1987, plus de 38 millions de francs ont été récoltés auprès de 250 000 participants, qui permettent d’emblée de venir en aide à 3200 personnes. Poursuivie durant cinq ans, l’opération « Coup de main aux fins de droits » est relayée par la contribution du mouvement à la mise en œuvre du RMI ; plusieurs groupements collaborent avec les conseils généreux ou des administrations sanitaires pour assurer la couverture complémentaire ou instaurer des systèmes de dispense d’avances de frais pour ces populations. D’autres soutiennent des actions d’insertion ou la mise en place de structures d’accueil, de conseil et d’information.

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A l’évidence, la solidarité face au chômage « prouve de façon éclatante que le mouvement mutualiste sait et veut répondre aux problèmes sociaux de son temps »[4]. L’opération « Coup de main aux fins de droit » ouvrira la voie à d’autres engagements, notamment en faveur de l’accessibilité aux soins dans les quartiers sensibles ou de la mise en œuvre de la CMU et de la CMU-C[5], qui prouvent encore une fois que « la mutualité n’a d’autre mission que de montrer l’exemple et d’ouvrir la voie »[6].

 

[1] Contrat d’emploi aidé créé en 1984.

[2] André Delètre, Michel Piot, « Solidarité et exclus », Revue de la Mutualité n° 122, juillet-août 1985

[3] René Teulade, Revue de la Mutualité, mai-juin 1986.

[4] François Mitterrand, discours au congrès de Grenoble de 1991, Revue de la Mutualité n° 144, octobre 1991.

[5] P. TOUCAS, L’identité mutualiste, Paris, Contrechamp, 2001.

[6]  « La mutualité demain », rapport pour le congrès national de Lille.