Pour une réforme de la protection sociale
D’une position défensive face aux réformes de la Sécurité sociale, la Mutualité française passe progressivement à une action de proposition et de concertation avec les pouvoirs publics, visant à préserver un système solidaire menacé par les évolutions socio-économiques. Le congrès de Bayonne (1994) marque le coup d’envoi de cette stratégie, qui sera affinée et confirmée dans les congrès suivants.
On l’a vu, le plan Juppé s’inspire largement des solutions préconisées au congrès mutualiste de 1994[1]. Si Bayonne est souvent considéré comme « un tournant historique »[2] pour le mouvement mutualiste, il s’inscrit en réalité dans un long processus amorcé à la fin des années 1980 : il s’agit de sortir d’une action essentiellement contestataire pour faire de la mutualité un partenaire impliqué dans l’avenir de la Sécurité sociale, et ce dans le respect absolu de son indépendance politique. En vertu de sa longue expérience dans la prise en charge de la santé, cette dernière apparaît comme un « pionnier », un « réformateur », un « défenseur de la protection sociale de tous »[3]. Son objectif est de défendre la philosophie solidaire de 1945 dans un contexte où « les fondements solidaristes des systèmes classiques de protection sociale sont dans les collimateurs libéraux »[4].
Le congrès de Lille (1997) confirme la place privilégiée de la FNMF dans ces réflexions. Les mutualistes se réjouissent alors des nombreux chantiers ouverts depuis Bayonne, parmi lesquels la clarification des rôles entre caisses d’assurance maladie et Etat, la contribution du Parlement au fonctionnement de la protection sociale, l’amélioration de la formation professionnelle continue des médecins, le développement de la qualité hospitalière et l’expérimentation de réseaux de soins. Pour autant, la refonte du système qu’ils préconisent de longue date est loin d’être aboutie, et il reste à la réaliser « jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à ce que les objectifs d’amélioration de la qualité des soins et de maîtrise des coûts soient atteints »[5]. Mais en 2000, au congrès de Paris, Jean-Pierre Davant constate à nouveau avec amertume que « les motivations qui étaient les nôtres en 1995 lors du débat sur la modernisation du système de santé demeurent »[6]. La « politique de gribouille »[7] menée par le gouvernement implique la reprise d’une action offensive par le mouvement mutualiste, notamment en faveur d’une véritable politique du médicament.
Trois ans plus tard, la FNMF va plus loin encore au congrès de Toulouse : à la veille de la réforme de la Sécurité sociale annoncée par le gouvernement, y sont formulées 25 propositions « pour réduire les inégalités de santé ». Les mesures préconisées s’orientent autour de trois axes : renforcer la cohérence et l’efficacité de la politique de santé et de protection sociale, responsabiliser les acteurs et améliorer la qualité du dispositif. En dépit de l’espoir suscité par cette initiative, la réforme présentée par le ministre de la santé Philippe Douste-Blazy en 2004 est la source de déception parmi les mutualistes. Plusieurs de leurs revendications majeures y sont balayées, telles l’inscription des mutuelles dans les négociations tripartites avec les professionnels de santé, l’accès aux données de santé collectées par un Institut national, et le maintien de la représentation de la FNMF dans le régime obligatoire. Comme le résume Jean-Michel Laxalt, président de la MGEN, « ce texte change la carrosserie de l’Assurance maladie en empruntant d’ailleurs le dessin de l’architecte qui est la Mutualité. Mais sous le capot, le moteur est mal équilibré, certainement inefficace et alimenté par un carburant fait de taxes arbitraires supportées par les patients »[8].
Face à l’échec des négociations avec les pouvoirs publics, c’est sur ses seules forces que la FNMF décide de compter pour faire avancer ses projets : en 2005, est ouvert le chantier du Parcours de santé mutualiste, dont l’ambition est d’« assurer aux mutualistes des soins de qualité et des dépenses de santé maîtrisées »[9]. Validé en 2006 lors du congrès de Lyon, Parcours santé mutualiste, rebaptisé « Priorité santé mutualiste » en 2007, offre une combinaison de services à distance et de proximité, procurant aux adhérents de soins qualitatifs à des tarifs maîtrisés, un accompagnement personnalisé face à la maladie et une aide à l’orientation dans le système de soins. Il s’articule dans un premier temps autour de quatre thématiques de santé publique : le cancer, les maladies cardio-vasculaires, les addictions et le maintien de l’autonomie des personnes âgées ou handicapées. D’abord expérimenté dans deux régions pilotes – Bretagne et Languedoc-Roussillon –, le dispositif est généralisé en 2009 à tous les mutualistes, avant d’être ouvert au grand public en 2012.
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De Bayonne à Lyon en 2007, la mutualité s’est affirmée comme un acteur majeur du débat sur la protection sociale. Cette position n’a depuis jamais été démentie. En dépit d’une actualité complexe – marquée par une concurrence croissante dans le champ de la complémentaire santé et par la métamorphose du monde mutualiste liée à la transposition des directives européennes -, le mouvement continue, envers et contre tout, à revendiquer des réformes justes et équitables gages de l’avenir du système.
[1] A ce sujet, voir la chronique « La mutualité face au plan Juppé ».
[2] Sabine Syfuss-Arnaud, « Dans la mêlée de la santé », L’Express, 1er avril 2005.
[3] « La mutualité demain », rapport du conseil d’administration pour le congrès national de Lille.
[4] Jean-Luc Souchet, « Le mouvement mutualiste dans les évolutions du système de protection sociale français », Vie sociale 2008/4.
[5] Extrait de la résolution générale du congrès de Lille.
[6] Cité par Bernard Gibaud, Fédérer autrement. Histoire de la Fédération nationale de la Mutualité française (1902-2002), Paris, Mutualité française, 2003.
[7] J-M M., « La "position offensive" de la mutualité », Dépêche AFIM n° 1510, 28 septembre 2000.
[8] La Mutualité française affirme sa légitimité à remettre la réforme sur les rails », Dépêche AFIM n° 2357, 7 juin 2004.
[9] Jean-Luc Souchet, op. cit.
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